mardi 14 février 2023

Sommaire du Forum Guertin : bâtir un quartier généreux (21 janvier 2023)

Le 21 janvier dernier a eu lieu le Forum Guertin : bâtir un quartier généreux organisé par la Coalition pour le Quartier Guertin qui regroupe tant des citoyens, que des organisations locales telles que l’Association des résidents et résidentes de l’île de Hull (ARIH), le Collectif régional de lutte à l’itinérance (CRIO), l’Association pour la défense des droits sociaux de l’Outaouais (ADDS Outaouais) et la Clinique interdisciplinaire en droit social de l'Outaouais (CIDSO).

Bien qu’en 2016, la ville de Gatineau assurait que, si on détruisait l’aréna, la consultation des citoyennes et citoyens de la Ville serait nécessaire, on constate que, 6 ans plus tard, la proposition de faire un Quartier général de police fut présentée à huis clos pour vote, sans consultation de la population. Comme il en a été mention lors du Forum, ne pas permettre aux citoyennes et citoyens d’avoir leur mot à dire sur le devenir de la Ville et de ce site va contre le droit à la ville. De plus, malgré la demande du conseiller municipal de Hull-Wright, Steve Moran, que la Ville tienne une consultation publique sur l’avenir du site Guertin, la mairesse France Bélisle a refusé cette demande sous le prétexte que la décision devait se prendre de manière urgente. C’est pourquoi la mise en œuvre du Forum Guertin par des acteurs communautaires du milieu, qui a rassemblé plus d’une centaine de personnes , se voulait un moyen de tâter le pouls des citoyennes et citoyens quant à cette décision. Cette journée d'information et de discussion sur la question du site du Centre Robert-Guertin visait à comprendre les impacts potentiels de la construction d’un Quartier Général (QG) de la Police de Gatineau à cet endroit, ainsi qu’à explorer les possibilités de projets collectifs pour ce site.

Ce forum a ainsi mobilisé deux panels d'experts de différents domaines qui sont venus partager leurs connaissances et échanger avec les citoyens. À la suite des présentations des panélistes, près d’une heure était prévue pour une prise de parole citoyenne et des échanges entre participants et panélistes. Un grand nombre de personnes présentes se sont avancées au micro pour faire part de leurs opinions, ce qui témoigne de l’importance pour les citoyennes et citoyens d'être davantage consultés quant au devenir de leur quartier. Certains conseillers municipaux étaient présents pour entendre ces opinions, soient Steve Moran, Mike Duggan, Bettyna Belizaire, Steven Boivin, Annick Desmarais et Louis Sabourin.

Panel #1 - Un quartier Guertin pour tout le monde

Ce premier panel était modéré par Alex Gallant, agent de mobilisation au CRIO, qui a présenté une mise en contexte de la situation entourant le site Guertin et le projet d’y construire un QG de police.  Comme nous le savons, le site du Centre Robert-Guertin est un lieu névralgique dans le quartier. Il se trouve d’ailleurs à quelques mètres du seul refuge d’urgence en itinérance de la Ville, le Gîte Ami, et à grande proximité de plusieurs autres services fréquentés par les populations vulnérables, dont la Soupe populaire de Hull et le site de prévention des surdoses.

En ce sens, Marie-Ève Sylvestre, la doyenne de la Faculté de droit civil de l’Université d’Ottawa, chercheuse qui étudie les enjeux de profilage et de judiciarisation de l’itinérance et panéliste au Forum, a mis en lumière la façon dont la présence policière constitue la porte d’entrée au système de criminalisation et de judiciarisation des personnes en situation d’itinérance. En effet, par le biais d’une étude qu’elle a menée entre 2005 et 2010, elle rapporte que 70% des amendes émises auprès des personnes en situation d’itinérance résulteraient en une incarcération à Gatineau par défaut pour ces personnes de ne pouvoir les payer. Le Centre de détention de Hull serait d’ailleurs porteur du record d’incarcération pour non-paiement d’amende au Québec, ayant incarcéré 204 personnes pour cette raison en entre 2019 et 2021 comparativement à 75 à la ville de Montréal. Ainsi, on craint qu’augmenter les contacts entre la population itinérante et la police participerait à accentuer le cycle de judiciarisation et d’incarcération des personnes plus précarisées du quartier  En plus des risques liés à l’augmentation de l’incarcération des personnes hébergées aux abords du site du Centre Robert-Guertin, on prévoit conséquemment que la présence d’un QG de police pourrait faire fuir les personnes à la rue nécessitant les ressources communautaires dédiées à leur survie dans le quartier, tel que le démontre la recherche sur le sujet (Chesnay, Bellot et Sylvestre, 2014).

Du même avis, Pierre-Luc Baulne, co-coordonnateur de l’Association pour la défense des droits sociaux de l’Outaouais (ADDS) et panéliste au Forum, croit que la décision d’instaurer un QG de police sur le site répond aussi aux efforts de gentrification du quartier Vieux-Hull visant à tasser les populations plus précaires du centre-ville pour promouvoir son embourgeoisement et son rebranding, le tout en dépit de l’attachement qu’ont les résidents envers leur quartier. Il nous explique que les rapports entre la gens vivant de la pauvreté et les forces de l’ordre sont souvent empreints de profilage, d’interpellations discriminatoires et d’abus de pouvoir, menant à un lien de confiance difficile. Plusieurs alternatives, à la place du QG, ont été mentionnés : par exemple une épicerie, des logements sociaux, des infrastructures sportives, une clinique en santé mentale, une halte-chaleur mieux adaptée aux besoins, des toilettes/douches accessibles, etc.

De plus, Dahlia Namian, professeure à l’École de service social de l’Université d’Ottawa et chercheuse qui s’intéresse à l’itinérance, la pauvreté et la politique du Logement d’abord, explique que les personnes en situation d’itinérance sont dépossédées d’un de leurs droits fondamentaux, le droit à la ville. L’espace situé aux abords du site du Centre Robert-Guertin est non seulement indispensable à la survie des personnes en situation d’itinérance, mais aussi aux liens de solidarité, d'entraide et de communauté qui s’y créent. Une réappropriation des lieux par un QG de police consisterait en une menace importante à la géographie de survie des personnes en situation d’itinérance, qui s’est bâtie et tissée au sein de ces lieux. Professeure Namian a aussi expliqué que l’émission de constats d’infraction consiste en un mode de gestion de la pauvreté et de l’itinérance, sans toutefois régler ces enjeux. Il a aussi été mentionné que les personnes prenant les décisions qui affectent ces populations à la Ville n’étaient malheureusement pas présentes.

Survol des interventions citoyennes suite au 1er panel:

Plusieurs participants ont pris la parole suite aux présentations de la première série de panélistes. Ceux-ci ont évoqué leur stupéfaction face à l’augmentation proposée au budget de la police de Gatineau, ainsi qu’au besoin de réduire le rôle des policiers comme premiers répondants et de bonifier les ressources des organismes communautaires. Certaines difficultés liées à la cohabitation entre les résidents vivant près du Gite Ami et les résidents du centre d’hébergement ont été soulevées. Le manque de logement abordable et de logement social dans le secteur a été nommé, avec la proposition que la Ville devrait trouver des moyens innovants pour inciter les promoteurs à construire du logement social. L’importance d’éduquer la population sur la cohabitation avec les populations en situation d’itinérance a été soulevée, ainsi que la nécessité de consulter les personnes en situation d’itinérance quant au futur du site Guertin, afin de tenir compte de leurs besoins. La conversation s’est tournée vers les actions envisageables suite au Forum, pour pousser les élus à aller de l’avant avec un projet de développement communautaire sur le site Guertin, préparant le terrain pour le panel de l'après-midi. On a rappelé l’importance d’une mobilisation citoyenne solide et soutenue.


Conférence sur l’histoire populaire du site Guertin et de l'île de Hull

Après le dîner, l’historien et ancien conseiller municipal de Hull, Raymond Ouimet, a présenté l’histoire populaire du site Guertin et des alentours. Il a expliqué que l’aréna Robert-Guertin avait initialement été cédée à la Ville pour des fins de loisirs. Il déplore qu’il arrive souvent que les quartiers changent, que des lieux disparaissent, le tout sans que les gens soient consultés. Les gens se font alors traditionnellement expropriés ou expulsés de leur propre quartier. Des résistances sont possibles, mais elles sont souvent exceptionnelles, surtout lorsque les gens font face à des compagnies puissantes et appuyées par la Ville. M. Ouimet a exprimé que la rénovation et la restauration de l’aréna serait possible pour réutiliser l’espace. Il a aussi mentionné que chaque municipalité devrait être obligée de maintenir un certain pourcentage de logements sociaux pour pallier les efforts de gentrification.

 

Panel #2 : Aménager le quartier Guertin de nos rêves

Ce deuxième panel était modéré par Daniel Cayley-Daoust, président de l’Association des résidents et résidentes de l’île de Hull (ARIH), qui a ouvert en rappelant les démarches citoyennes du passé en plus de l’importance de la tenue du forum Guertin et de la participation citoyenne pour le développement futur du site de l’ancien Aréna Guertin et du quartier. Il a notamment évoqué l’événement “Rêver l’île de Hull” organisé par l’ARIH en 2018 où les participants parlaient déjà de l’importance de développer un quartier complet qui répondrait aux besoins en services de proximité des résidents et résidentes du quartier. Il a aussi mentionné des consultations tenues par la Ville dans le cadre du Plan d'offre aquatique sectorielle (2019-20) ainsi que du Plan directeur des infrastructures récréatives, sportives et communautaires (2020-2022), qui mettait notamment de l’avant le désir citoyen de bâtir une piscine intérieure municipale pour le secteur Hull sur le site Guertin. L’avenir du site Guertin fait l’objet de discussions lors des assemblées générales annuelles de l’ARIH depuis plusieurs années.

Le prochain panéliste était Réjean Laflamme, Président de la coopérative de solidarité Épicerie de l'île de Hull. Il a partagé l’historique de la coopérative et le fait qu’elle a été mise sur pied en contexte de désert alimentaire sur l’île de Hull. Le supermarché le plus proche étant le Maxi sur Saint-Joseph, sa localisation le rend difficilement accessible pour les citoyennes et citoyens se déplaçant à pied ou en autobus. M. Laflamme nous a fait part des défis liés à l’identification d’un emplacement adéquat et des tentatives échouées du passé. Il nous mis à jour sur l’avancement du projet d’épicerie sur le site de l’ancien stationnement incitatif de la STO, qui est adjacent au site Guertin et se marierait bien au développement d’un projet de quartier complet. La coop de l'épicerie est à la recherche de financement pour effectuer une étude de faisabilité pour un projet d'une centaine de logements avec l’épicerie au rez-de-chaussée.

Par la suite, Claudine Lalonde, Directrice générale adjointe de la Coopérative de développement régional Outaouais–Laurentides et Coordonnatrice du Pôle d'économie sociale a pris la parole. Elle a parlé des besoins des résidents et résidentes de l’île de Hull. Cette partie de la population a besoin non seulement d’une épicerie, mais aussi d’un CPE, de plus d’infrastructures en sports et loisirs, et surtout, de logements. Mme Lalonde a donné plusieurs exemples de coopératives et d’organismes d’économie sociale à but non lucratif qui pourraient servir de modèles ou d’inspiration pour un développement futur du site Guertin qui met de l’avant d’abord et avant tout le bien-être et les services à la population. Elle a donné l’exemple du Bâtiment 7 à Montréal, qui appartenait à la CN et avait été vendu pour accueillir un casino. Suite à une mobilisation citoyenne pour s’opposer au projet, le terrain a été racheté et transformé en centre autogéré par des groupes communautaires. On y retrouve maintenant un projet de quartier complet, semblable à ce que la population réclame pour Guertin.  

Mathieu Charron, Professeur de sciences sociales à l'UQO & résident de l'île de Hull était le dernier panéliste du forum. Il a parlé de la notion d’efficacité collective et de quelle façon elle peut mettre de l’avant l’intérêt commun de la communauté et les ressources pour réaliser ses visions et aspirations. Professeur Charron a mis le public en garde contre un quartier ségrégé qui peut parfois limiter les opportunités et chances pour tous. Un tel quartier créerait une fragmentation des espaces résidentiels et rendrait les lieux plus polarisants et certaines banlieues très homogènes. Le prof. Charron a mentionné qu’il est important de désenclaver les milieux pour encourager la mixité et alors éviter que certaines réalités ou problématiques sociales se retrouvent concentrées aux mêmes endroits. Cependant, s'il est bien fait, le processus de gentrification peut être une bonne chose pour encourager une mixité sociale positive. Une redéfinition des territoires est également à prévoir avec le retour des fonctionnaires fédéraux au bureau. Pour sa part, le prof. Charron a exprimé son désir de construire un socio-quartier avec des espaces de cohabitation et mixité sociale, comme il l’a été fait dans la ville de Montréal, par exemple.

Survol des interventions citoyennes suite au 2e panel:

Parmi les interventions des participants suite à ce dernier panel du Forum, nous sommes revenus sur l’opacité dans la décision de la Ville sur le site Guertin. Certains ont exprimé des inquiétudes par rapport à la suite - même si nous parvenons à empêcher le projet de QG à Guertin, quel pouvoir aurons-nous pour obtenir le quartier complet que nous souhaitons? Une résidente de très longue date a déploré que la vie de quartier s’était désagrégée au cours des années, avec des édifices multi-étages qui se construisent un peu partout. On a exprimé de l’inquiétude par rapport au manque d’espaces verts et au fait que l’ile de Hull est déjà un îlot de chaleur. Certains participants prônaient la réutilisation de l’édifice Guertin plutôt que sa démolition. Quelques participants ayant pris parole vivaient ou avaient vécu de l’itinérance et ont partagé leur vision pour l’avenir du site, sans QG de police, notamment le besoin de lieux pour dormir qui répondent aux besoins de base et permettent aux gens d’y vivre dans la dignité.